Raymond Gérard (1932-2000)

Raymond Gérard, professeur retraité de l'Université Louis Pasteur, est décédé le mercredi 5 janvier 2000, à l'hôpital de Schirmeck, des suites d'un oedème de Quinck, qui n'a pu être maîtrisé. Il repose désormais dans le petit cimetière communal de Blancherupt attenant à l'église. Il était né le 24 septembre 1932 à Wissembourg.

De 1958 à 1968, il fut assistant, chef de travaux, puis maître-assistant de mathématiques à la Faculté des Sciences de Strasbourg, devenue entre temps l'une des composantes de l'Université Louis Pasteur.

L'année 1968 vit la soutenance de sa thèse de doctorat d'Etat intitulée ``Théorie de Fuchs sur une variété analytique complexe". Au milieu des années soixante, il y avait peu de thèses de doctorat d'Etat préparées et soutenues à Strasbourg : les impétrants devaient souvent se trouver un patron parisien, ce que fit Raymond Gérard en la personne de Jean Leray, professeur au Collège de France. Les autres membres du jury étaient les Strasbourgeois Jean Frenkel et Georges Reeb.

Le sujet que lui avait proposé Jean Leray était d'étendre à plusieurs variables les résultats de Levelt sur les fonctions hypergéométriques, en fait, d'imaginer une bonne théorie de Fuchs pour les systèmes de Pfaff analytiques, un travail qui fut superbement réalisé par Raymond Gérard.

Il était aussi de coutume d'écrire une seconde thèse. Le sujet fut proposé par Georges Reeb : réexposer les leçons de Stockholm de Painlevé sur la théorie analytique des équations différentielles. Ce travail de seconde thèse se poursuivit d'abord par la réédition des oeuvres de Painlevé, entreprise par Georges Reeb, Antoinette Sec et lui-même, ensuite par une relecture de l'étude des équations à points critiques fixes, que Reeb voulait réexpliquer à l'aide des feuilletages. Cette idée fut fructueuse, puisqu'à son tour elle fut le germe des travaux de thèse de Sec et d'Okamoto.

``Pour des raisons de principe," comme disait Frenkel, tant était grande ``l'hostilité à l'auto-recrutement" aucun poste de professeur ne lui fut proposé à Strasbourg. 1968, c'est l'année de la création de nouvelles Universités. Metz, qui n'était qu'un collège universitaire rattaché à Strasbourg, avait demandé son indépendance. En bon Alsacien attaché à sa terre, Raymond Gérard préfèra prendre un poste dans cette province lorraine, plutôt que dans les centres lointains qui pourtant s'intéressaient fort à ses travaux, comme Poitiers et Montpellier.

A Metz, il s'empressa de créer, de toutes pièces, un centre mathématique vivant et un séminaire de recherche actif. Il trouva là d'excellents collaborateurs en les personnes d'Antoinette Sec, Bernard Klarès, Charles Sadler.

En 1972, beaucoup de collègues strasbourgeois partent. Sa grande réussite messine convainc les strasbourgeois qu'il faut le rapatrier au plus vite. Dès le mois d'octobre 1972, le déjà célèbre séminaire d'équations différentielles dans le champ complexe se délocalise de Metz à Strasbourg. C'est le grand séminaire d'analyse, auquel participent Ramis, Martinet, Jouanolou, les Messins, qui maintenant font le voyage, de nouveaux élèves de doctorat, Gonzalès, Pinto, enfin les jeunes japonais, dont il codirige les thèses : Okamoto, Majima, Kimura.

C'est l'époque aussi où, avec l'aide de Levelt, il dégage cette suite finie d'invariants, appelée aujourd'hui fonction de Gérard-Levelt, qui est, disons, une mesure de l'irrégularité en un point singulier des systèmes d'équations différentielles.

Strasbourg devient l'arrêt obligé pour tout ce qui compte dans le monde dans le domaine des équations différentielles, en particulier les spécialistes de l'école japonaise. A son contact, Martinet et Ramis se sont orientés résolument vers l'analyse ; Jouanolou a même failli y succomber, apportant son incomparable expertise d'algébriste dans la classification des systèmes de Pfaff et des feuilletages sur les variétés algébriques.

Il assume aussi dans le courant des années soixante-dix la direction de la R.C.P., c'est-à-dire la gestion scientifique de ces deux réunions annuelles à Strasbourg entre mathématiciens et physiciens. Il assure également la direction de l'Institut de Recherche Mathématique Avancée. C'est une vie de mathématicien très intense : recherche, direction de recherche, enseignement et administration des sciences.

La qualité de ses travaux sur les équations différentielles lui ouvre les portes du Japon en 1977. Il y fera plusieurs séjours. On trouve là-bas une très grande tradition dans ce domaine de recherche, autour de Hukuara, puis de Kimura. Ces relations intenses qu'il entretient avec les collègues japonais le conduisent à organiser à Strasbourg, en octobre 1985, un (ou le !) Colloque Franco-Japonais, intitulé  ``Equations différentielles dans le champ complexe." On y retrouve les gens cités auparavant, plus d'autres, comme Ura, Tahara, Yosida, Kono, Umemura et aussi Malgrange et Sibuya.

Cette collaboration avec l'école japonaise s'est aussi matérialisée par la publication avec Hidetoshi Tahara de cette belle monographie ``Singular Nonlinear Partial Differential Equations," parue chez Vieweg.

On ne peut parler de Raymont Gérard sans mentionner le nom de Blancherupt, la plus petite commune d'Alsace, mais l'un des haut-lieux de la coopération franco-japonaise! Il aimait y faire de longs séjours, surtout depuis son départ à la retraite. Il y était devenu adjoint du maire.

Grâce au dépôt électronique sur Internet de nombreux articles mathématiques anciens ou nouveaux, on peut avoir accès à une grande partie de son oeuvre. Si l'on se trompe de prénom, on tombe sur son fils Christian, brillant spécialiste des équations aux dérivées partielles. Sa fille Anne, diplômée de l'Ecole Polytechnique comme son frère, après avoir passé un doctorat de physique, le domaine professionnel de Lucie Gérard, sa mère, a préféré revenir vers les mathématiques. Elle est aujourd'hui professeur agrégée de mathématiques au Lycée Lakanal à Sceaux. La tradition mathématique est solidement ancrée dans la famille Gérard.

La carrière de Raymond Gérard fut riche, féconde, enthousiasmante. Il a apporté beaucoup de prestige à Strasbourg. Nous devons lui témoigner une grande reconnaissance.