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Circonstances de l'enlèvement
Le 3 février 2008, Ibni Oumar Mahamat Saleh, docteur de l'Université d'Orléans, professeur de mathématiques à l'université de N'Djamena et à l'origine d'échanges universitaires franco-tchadiens (Orléans, Lyon, Avignon), également porte-parole de la coalition tchadienne d'opposition CPDC, était enlevé à son domicile de N'Djamena. Dans ces mêmes jours, l'appui militaire français permettait au régime tchadien de repousser une offensive armée rebelle. Cet appui lui a évité la chute. Le pouvoir tchadien a profité des troubles pour s'en prendre à son opposition démocratique. Il en a enlevé trois responsables importants, dont Ibni Saleh. Très tôt, la France en était informée et est vraisemblablement intervenue pour eux, mais n'a pas imposé leur libération immédiate, alors qu'elle tenait la survie du régime entre ses mains.
Depuis, les autorités tchadiennes comme françaises sont muettes sur cette affaire, malgré la mobilisation de l'opposition tchadienne, de la famille, de la communauté mathématique à travers le monde, et d'Amnesty International États-Unis. Les deux autres détenus ont été relâchés après des sévices, l'un a dû quitter le Tchad. D'Ibni Saleh, aucune nouvelle. Le Président français a obtenu de son homologue tchadien la constitution d'une commission d'enquête internationale sur les troubles de cette période.
Le rapport de la Commission, produit le 5 août 2008 et rendu public le 3 septembre 2008, en ligne le 11 septembre
Le rapport (ou ici, ou extraits sur les enlèvements) de cette commission est accablant pour le gouvernement tchadien, et lui impute preuves à l'appui de nombreuses violations graves des Droits de l'Homme, exécutions sommaires etc. Sur les enlèvements, dont celui d'Ibni Saleh, la commission dit "n'avoir pu amener de preuves parfaites"i.e. juridiquement irréfutables "de l'implication des autorités tchadiennes", mais a rassemblé "un faisceau de présomptions graves", et minutieusement documentées, dans ce sens. Elle "démontre une action concertée et organisée de l'Armée Nationale Tchadienne" et "l'impossibilité que cette action soit le fait d'une initiative personnelle d'un quelconque militaire subalterne n'ayant reçu aucun ordre de sa hiérarchie ou des instances supérieures de l'État". "Par voie de conséquence", explicitement, elle "pose la question de l'implication du chef de l'État dans la chaîne de commandement", livrant une page d'éléments à l'appui de la question. Sur Ibni, elle juge "permis de penser qu'il serait désormais décédé", "suite à mauvais traitements [ou] par assassinat politique". Elle n'a pu en apporter de preuve incontestable et affirme qu'"une telle preuve sera vraisemblablement impossible à trouver sans une volonté des plus hautes autorités de l'État".
Ibni Saleh a été enlevé sur ordre du pouvoir, il est mort en détention. Voici la vérité que le président tchadien Idriss Déby tait. Par l'absence de reconnaissance officielle de cette mort, ce dernier le dérobe une deuxième fois à ses proches.
Comme Maurice Audin, Ibni Oumar Mahamat Saleh restera-t-il "disparu" ?
Quelques mots plus larges sur le Tchad
Le rapport de la commission d'enquête note l'existence, au Tchad, de lieux de détention secrets où des prisonniers "croupissent" hors "de tout contrôle judiciaire". L'enlèvement d'Ibni Oumar Mahamat Saleh est donc un révélateur de cette pratique dont beaucoup d'autres Tchadiens sont victimes. Son cas été relayé internationalement notamment parce qu'Ibni était universitaire en mathématiques ; cela n'a malheureusement pas évité le pire.
Plus généralement, Amnesty International Royaume-Uni rappelle que le cas d'Ibni Saleh est symptomatique des violations des droits de l'Homme au Tchad, où de nombreuses violences arbitraires sont exercées ou permises par le pouvoir, dans l'impunité. Notamment, aucun des crimes perpétrés il y a maintenant un an lors des troubles de janvier-février 2008 n'a été poursuivi.
Quelques liens supplémentaires
Une dépêche annonce l'enlèvement d'Ibni Oumar Mahamat Saleh, une autre, au vu du rapport, sa mort probable. L'un des trois politiciens enlevés, Ngarlejy Yorongar, a été relâché et a dû quitter le Tchad, il a raconté sa détention. Récemment, il a donné des précisions sur les enlèvements du 3 février et sur la localisation de la prison où Ibni et lui ont été conduits, à N'Djamena. Le troisième enlèvement est celui d'un ancien Président de la République tchadienne.
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