Gail Godwin

Anne Foata

Gail Godwin appartient à cette génération de romancières sudistes qui sont nées aux alentours de la deuxième guerre mondiale et qui ont commencé à publier vers la fin des années soixante. Au contraire de la génération précédente, celle des Carson McCullers, Flannery O'Connor, ou Eudora Welty, elles ne puisent plus la totalité de leur matière romanesque dans les réalités et les mythes du Sud et certaines d'entre elles, comme Lisa Alther, Bobbie Ann Mason, Alice Walker ou Gail Godwin elle-même, l'ont quitté physiquement pour vivre leur vie d'adulte en d'autres lieux.

Née à Birmingham dans l'Alabama, Godwin a passé toute son enfance et adolescence dans différentes villes de le Caroline du Nord, à Asheville et à Chapel Hill notamment, les deux localités incontournables de cet autre écrivain de la Caroline du Nord, Thomas Wolfe.1 Elle fait une licence de journalisme, travaille quelque temps comme reporter au journal Miami Herald en Floride et quitte le Sud en 1961 pour Londres. Quand elle reviendra aux Etats-Unis, ce sera pour s'inscrire dans une université du Middle West (Iowa) où elle obtient un doctorat d'anglais en 1971. En 1972 elle rencontre le compositeur Robert Starer à la colonie des écrivains de Yaddo (New York) et s'installe avec lui à Woodstock qui est encore aujourd'hui son lieu de résidence, à quelque deux heures de voiture au nord de New York, dans les Monts Catskill.

En 1970 Gail Godwin publie The Perfectionists, suivi, deux ans plus tard, de Glass People. Neuf romans et deux recueils de nouvelles paraîtront ainsi à un rythme régulier: The Odd Woman en 1974, Dream Children (nouvelles) en 1976, Violet Clay en 1978, A Mother and Two Daughters en 1982, Mr. Bedford and the Muses (nouvelles) en 1983, The Finishing School en 1984, A Southern Family en 1987, Father Melancholy's Daughter en 1991, et The Good Husband à l'automne de 1994.

Saluée dès l'abord comme une romancière dans la tradition de Jane Austen mâtinée de D.H. Lawrence,2 louée pour son sens de la forme et l'esprit incisif de sa prose, Gail Godwin doit cependant attendre 1982 et la parution de A Mother and Two Daughters pour accéder à la célébrité et aux forts tirages3; ce succès de librairie, qui par la suite accompagnera chacun de ses romans, lui permettra d'abandonner l'enseignement universitaire et se consacrer uniquement à l'écriture; en 1989, elle fonde une petite maison d'édition, St Hilda's Press, qui publie des oeuvres moins populaires et réédite des livres rares ou épuisés.

Certains critiques, masculins pour la plupart, ont craint dans les années soixante-dix, lors de la parution de ses premiers romans, qu'elle ne confinât ses thèmes à ceux du féminisme triomphant de cette décennie, avec leurs femmes mal mariées et leurs intellectuelles désenchantées. Il est évidemment aisé de faire la part belle aux reproches déguisés de ces critiques quand on sait que la totalité des personnages principaux de Godwin sont des femmes. Il n'en est rien, cependant, et si de fortes personnalités féminines abondent dans ses romans, les raisons en sont biographiques tout autant que proprement idéologiques: quoi de plus légitime, en effet, pour une romancière que de vouloir interroger le destin des femmes au milieu des mutations de ce vingtième siècle finissant? La présence de l'une ou l'autre caricature de féministe enragée montre cependant la distance qu'elle a su prendre dès le début à l'égard des outrances du mouvement.4

Bien qu'elle se tienne sur la défensive quand on insiste sur l'élément biographique de son oeuvre, la plupart des romans de Godwin mettent en scène le schéma familial qui fut le sien, celui d'une famille sans hommes, et composé de trois femmes, grand-mère, mère et fille, dotées chacune en son genre d'une forte personnalité: un père, dandy et dilettante, qui disparaît très vite de la scène; une mère diplômée d'université qui fera vivre sa famille - elle enseignera la littérature et l'histoire au ``collège'' d'Asheville tout en travaillant comme reporter au journal local et en écrivant des romans sentimentaux pour une maison d'édition de New York - pour retomber ensuite, par son mariage avec un ex-GI venu suivre ses cours, dans le moule traditionnel de la femme au foyer, que la grand-mère en grande dame sudiste n'a cessé de prôner et contre lequel la petite-fille va se rebeller.

Presque toutes les héroïnes de Godwin ont reçu en partage une composante de ce schéma: un père un peu propre à rien et très tôt disparu de la scène et/ou un beau-père d'origine modeste et de manières mal dégrossies avec lequel elles se querellent, une mère ``libérée'' puis remariée, et une grand-mère qui, à l'instar de celle de The Odd Woman, laissera quinze paires de gants blancs à sa mort. Quelques-unes hériteront encore des deux mariages extrêmement brefs de leur auteur, et aucune, exception faite de l'une des deux filles de Une Mère et ses Deux Filles, n'aura d'enfant.

Plus important, cependant, est l'imposant bagage culturel dont Godwin a doté ses héroïnes et qui fut le sien: des études primaires et secondaires dans une institution privée tenue par des soeurs françaises, un cursus universitaire poussé et une formation plus qu'élémentaire en musique et en peinture. Jane Clifford dans The Odd Woman et Cate Galitzky dans une Mère et ses Deux Filles enseignent la littérature anglaise dans une université du Middle West qui doit beaucoup à celles de l'Iowa ou de l'Illinois où Godwin elle-même a enseigné, et Magda Danvers, dans The Good Husband, la seule héroïne non sudiste de l'oeuvre godwinienne, est le professeur vedette d'un petit ``collège'' des Monts Catskill et l'auteur d'un livre révolutionnaire et déconstructionniste sur les poètes visionnaires. Justin Stokes, l'adolescente du Bildungsroman qu'est The Finishing School, deviendra actrice de théâtre; Violet Clay, l'héroïne du roman éponyme de 1978, est peintre et Clare Campion dans A Southern Family un écrivain reconnu; Margaret Gower (Father Melancholy's Daughter), fille d'un prêtre épiscopalien de Virginie, entrera au séminaire pour devenir prêtre à son tour. Enfant précoce, délaissée par sa mère (le scénario habituel du roman de Godwin est ici renversé), Margaret à six ans sait déjà ce qu'est une métaphore et plus tard à l'Université de Virginie de Charlottesville, elle se consacrera à l'étude des poètes métaphysiques anglais, lira Chaucer dans le texte et fera un pélerinage aux sources des mystiques anglais. Seule Francesca Bolt dans Glass People a un cursus universitaire tronqué, se contentant de deux ans d'études dans le ``Junior College'' local.

Toutes les héroïnes de Godwin cultivent également un art de vivre qui paraît bien plus proche des milieux intellectuels français que typiquement américain. Elles discourent longuement à table de la nourriture et des repas passés, emportent percolateur et café fraîchement torréfié en vacances, débouchent une bouteille de Chablis en écoutant Fischer-Dieskau dans le Requiem de Fauré, communient à une sonate de Brahms jouée par Claudio Arrau à Carnegie Hall ou discutent littérature et métaphysique. Leurs compagnons, maris et amants, quand ils ne sont pas psychothérapeutes, procureurs généraux ou directeurs de théâtre d'avant-garde, jouent du hautbois dans un ensemble baroque, consacrent leur vie aux écrivains et peintres préraphaélites ou deviennent des experts en ``miséricordes,'' ces petites saillies, nous dit le Robert, qui sont fixées sous l'abattant des stalles d'église et qui permettaient aux moines ou aux chanoines de s'asseoir ou de s'appuyer pendant les offices tout en ayant l'air d'être debout.

Enrichis d'épigraphes tirés des poètes, des Psaumes et du Missel anglican ou encore du I-Ching, peuplés d'intellectuels sérieux évoluant très souvent dans les milieux scolastiques ou universitaires, les romans de Gail Godwin ne sont pas sans rappeler l'univers fictif de A.S. Byatt - Possession évidemment - mais aussi les deux premiers livres de sa trilogie The Virgin in the Garden et Still Life. Des critiques ont aussi noté des affinités avec Margaret Drabble et Doris Lessing.5

Avant d'aborder les thèmes de l'oeuvre de Gail Godwin, il faut dire encore que par ses présupposés et sa facture, celle-ci est essentiellement classique. Il n'y a pas d'intrusion d'auteur, de discussion sur le support narratif ou la réalité des personnages, de métafiction, en un mot. Toutes les opinions sont soigneusement relayées par les personnages, professeurs et artistes discutant d'art et de littérature ou, comme dans A Southern Family, écrivain remettant en question les romans qu'elle a écrits jusque là et qui pourraient être ceux de l'auteur elle-même.6

Il n'y a pas non plus d'action éparse, minimalisée ou niée, ou de ces fins qui n'en sont pas, résorbées dans ``cette espèce d'angst anesthésiée qui a été à la mode ces trente dernières années'' (A Southern Family, Avon 343). Pour Godwin, le chaos du monde et de la vie peut, sinon être expliqué et excusé, du moins être ordonné et accommodé par la Forme, dont l'Art est l'expression la plus haute, l'effort individuel et la discipline. Elle croit aussi en la valeur de l'individu doté d'une personnalité unique, d'un moi conscient et éducable, qui, en termes jungiens, est susceptible de devenir un Soi pleinement unifié.7

Classiques de par leur aversion pour l'informe et le chaos, leur répugnance à nier le noyau dur de la personnalité et l'unicité de son destin, les romans de Gail Godwin le sont également par leur facture toute aristotélicienne d'une représentation d'une action unique à un moment de crise et de sa résolution en un laps de temps délibérément circonscrit. L'unité de lieu est elle aussi respectée sauf dans les romans où l'action requiert un retour au Sud, mais cette bipolarité géographique est un élément primordial de la quête du personnage et donc du roman.

Car c'est bien d'une quête qu'il s'agit dans les romans de Godwin, d'une quête d'identité qui est aussi pour ses héroïnes celle du sens de leur vie. Pour certaines, elle emprunte les voies de l'Art - la littérature qu'elles enseignent (The Odd Woman, A Mother and Two Daughters, The Good Husband), la peinture qu'elles pratiquent (Violet Clay), le théâtre dont elles embrassent la carrière (The Finishing School), la création littéraire (A Southern Family), la poésie et la musique qu'elles aiment toutes et ne se lassent pas de citer ou d'écouter. Pour l'une d'elles, Margaret Gower dans Father Melancholy's Daughter, elle ira au-delà de l'identité de soi, dans une soumission au schéma divin. Pour la plupart d'entre elles (The Odd Woman, Violet Clay, A Mother and Two Daughters, The Finishing School, A Southern Family, Father Melancholy's Daughter), cette quête les porte à confronter leur passé familial et à se définir par rapport au Code qui a régi leur éducation de jeunes filles du Sud. Pour toutes enfin, parce qu'elles sont femmes, elle implique un questionnement de leurs relations avec les hommes de leur vie, pères, maris, amants et amis. Pour résumer, toutes, à des degrés divers, essaient de se définir par rapport à la littérature et l'art en général, par rapport au code sudiste de leur famille et par rapport aux hommes. Je m'arrêterai un moment sur les deux derniers points.

Dans la thématique godwinienne, en effet, la famille, à l'exception près de The Good Husband, c'est aussi le Sud, tous deux unis dans une ``double étreinte mortelle'' (A Southern Family, Avon 416) à laquelle les héroïnes cherchent d'abord à échapper pour éventuellement, la maturité aidant, arriver à un compromis qui leur permette de vivre en accord avec elles-mêmes.

Et s'il fallait définir le ``timbre-poste'' de l'univers godwinien, sans doute faudrait-il porter son choix sur l'Asheville de son adolescence avec les montagnes alentour, qui sous le nom de Mountain City ou simplement identifiée comme ``la ville dans les montagnes'' apparaît dans Glass People, The Odd Woman, A Mother and Two Daughters et A Southern Family; mais il faudrait toutefois lui ajouter le ``Romulus'' des montagnes de Virginie (Father Melancholy's Daughter) qu'on n'aurait sans doute pas de mal à identifier sur la carte tant sont précises les indications routières pour y accéder à partir de Charlottesville, et les véritables Fredericksburg (Virginie), Charleston (Caroline du Sud) et l'une ou l'autre île au large des deux Carolines.

Davantage qu'un simple décor, cependant, le Sud est le lieu d'une remise en question du code social et moral qui régit le ``Southern way of life'' et de sa revendication d'une tradition aristocratique. Les héroïnes de Godwin s'impatientent de leur éducation de ``belles'' du Sud aux manières impeccables; elles ironisent à l'encontre de ses ardents défenseurs, grand-mères collet monté, matriarches corsetées qui ont élevé les apparences au rang de religion.8

Dans leur quête d'une identité propre, elles interrogent le rôle - exaltant mais singulièrement incapacitant - dans lequel les a enfermées l'idéal chevaleresque de leur région et dont sont d'ailleurs aussi victimes les hommes, du moins certains d'entre eux, témoin le suicide de l'oncle Ambrose, l'idéal même du gentleman sudiste, dilettante et charmeur, dans Violet Clay.

Parallèlement, elles observent d'un oeil aigu les réalités sociales cachées derrière les euphémismes de bon ton de leur milieu, notent la condescendance paternaliste de leur classe à l'égard des noirs et prennent conscience de leurs propres préjugés. Dans A Southern Family, Clare Campion fait enfin la paix avec le beau-père honni en même temps qu'elle s'efforce loyalement de comprendre la belle-famille de son demi-frère Theo, ``pauvres blancs'' des vallées appalachiennes qui vivent au milieu d'un paysage défloré par des montagnes d'appareils ménagers usagés. Elle décide aussi une fois pour toutes d'abandonner ``les mythes et les légendes'' qui servaient si bien les gens de sa classe, toute cette ``tapisserie richement brodée'' (A Southern Family, Avon 452) qui a fait les beaux jours du Sud.

Il lui reste toutefois, puisque Clare est écrivain à l'instar de son auteur, le vaste champ romanesque des relations entre homme et femme, et de leurs aspirations à l'union parfaite. Ce domaine-là Gail Godwin l'a exploré dans tous ses aspects et combinaisons, depuis la dérive des deux mariages dans The Perfectionists et Glass People, à travers les tribulations de la femme seule et ``libérée'' (dans The Odd Woman, Violet Clay, A Mother and Two Daughters), jusqu'à l'union comblée des deux principaux couples de A Southern Family et de The Good Husband. Ce dernier roman fournit également une solution tout empirique à l'épineuse problématique des couples godwiniens. En effet, si, en ce monde, ``paires et pairs ne font pas toujours des couples''9 et s'il faut que l'un des deux partenaires reste en retrait, alors le secret d'une union opérationnelle sinon idéale semble être dans le choix librement assumé par l'un des deux, indépendamment de son sexe, de se mettre au service de l'autre et d'adopter le rôle traditionnel de la maîtresse de maison. Dans The Good Husband, c'est Francis Lake, le mari, qui reste au foyer, compagnon (``mate'') tout dévoué, certes, mais sans doute mal assorti (``match'') de sa formidable épouse. De femme au foyer insatisfaite à mari au foyer heureux, The Good Husband clôt ainsi le cercle de la combinatoire des couples de l'oeuvre godwinienne.

Les voies de l'amour heureux, comme celles du Seigneur, sont souvent mystérieuses et détournées; elles constituent néanmoins l'un des accès privilégiés à la plénitude de soi qui pour les héroïnes de Godwin est l'objet ultime de leur quête d'identité. Celle-ci exige une grande disponibilité de leur part, à la fois spirituelle et intellectuelle, une ``fluidité'' de l'être qui refuse tout statu quo ``pétrifiant''. C'est cette ``fluidité'' qui en fin de compte est leur qualité essentielle. Elle leur fait préférer la tension à l'accomplissement, ou, pour reprendre le mot d'un Sonnet à Orphée de Rilke mis en musique par l'un des personnages de The Finishing School, le ``désir'' à son assouvissement. Et c'est dans ce sens qu'elles sont toutes des ``odd women,'' non pas créatures ``bizarres et excentriques,'' ``femmes seules'' ou encore ``individus dépareillés'' (tous sens possible de ``odd''), mais personnalités tout à fait hors du commun, engagées dans une quête de soi qui donne un sens à leur vie.

NOTES :

1. cf. le titre d'une conférence de Godwin devant la Modern Language Association de 1981: ``Getting Away from Tom,'' qu'on pourrait traduire librement, avec un clin d'oeil à Ionesco, ``Thomas Wolfe, ou comment s'en débarrasser.''

2. dans le compte-rendu de The Perfectionists par Robert Scholes dans Saturday Review, 8 Août 1970, 37-38 (Hill,9).

3. Le roman a été tiré à 85.000 exemplaires reliés et 1.5 million d'exemplaires brochés (Publishers Weekly, 31 mai 1985, 33) et traduit en onze langues (Hill,16); en France, il a paru aux Presses de la Renaissance en 1983 sous le titre Une Mère et ses Deux Filles.

4. cf. Gerda Mulvaney dans The Odd Woman et sa cohorte de femmes qui s'escriment à trouver les ``Cent et Une Façons dont Il se Sert de Vous Chaque Jour'' pour un numéro de leur magazine Feme Sole (qui est le vieux français pour ``femme seule,'' une des traductions possibles du titre du roman) ne sont pas sans rappeler cette autre romancière du Sud, Rita Mae Brown, et ses consoeurs à l'intérieur des ``collectifs'' de femmes, les ``Radicalesbians'' de New York, ou les ``Furies'' de Washington, tandis que ``Feme Sole'' évoque le Feminary des activistes du Sud.

5. Lore Dickstein dans son compte-rendu de The Odd Woman, New York Times Book Review, 20 oct. 1974, 4 (Cheney, 218), mais aussi Rachel M. Brownstein, The Odd Woman and Literary Feminism'' in American Women Writing Fiction: Memory, Identity, Family, Space. Lexington: University Press of Kentucky, 1989, 177.

6. Par exemple, p.~44-45: ``Was my work characterized by a sort of Olympian disdain for losers ?... I even questioned whether I had any special gift for perception and expression, or whether I wasn't just a docile, clever product of the `Southern way of life' and of a European-style convent education in which the nuns themselves had been brainwashed by the late Romantic and Victorian traditions...'' ou plus loin, p.~418: ``She had pretty much completed the chronicle of the questing young woman who goes out into the world in search of self and art... Now she wanted to try something different, that was all. Un-Southern, unfamilial...''

7. Que la théorie jungienne soit tout à fait familière à Godwin le montrent à l'évidence les nombreuses références à Jung et la place importante des rêves et de leur interprétation. Pour Jane Clifford il est ``my old standby''(The Odd Woman, éd. Penguin, 322), c'est-à-dire l'auteur, ou le livre, qui est toujours là quand elle a besoin de lui; le mari de Dane Empson dans The Perfectionists est un psychothérapeute anglais qui écrit un livre sur Jung et le concept de l'Enantiodroma. Godwin a déclaré, d'autre part, qu'elle doit une partie de son inspiration pour son dernier roman, The Good Husband, aux conversations qu'elle a eues avec la psychanalyste jungienne June Singer (interview avec Diane Rehm, Radio WAMU, Washington, le 12 septembre 1994).

8. Figure caractéristique de ces matriarches, le personnage de Theodora Blount dans Une Mère et ses Deux Filles; et plus anecdotique, celle de ``cousin'' Frances dans The Odd Woman, fille illégitime de la grand-tante Cleva qui en 1905 s'enfuit avec le ``traître'' d'une troupe théâtrale de passage et mourut abandonnée à New York, ``cousin'' Frances devenue présidente des United Daughters of the Confederacy et des Daughters of the American Revolution, ces deux bastions du snobisme du Sud.

9. pour traduire tant bien que mal l'aphorisme allitératif de l'original anglais: ``mates are not always matches, and matches are not always mates'' (Avon 24).

Bibliographie

ROMANS

The Perfectionists. New York: Harper and Row, 1970; rééd. Viking (Penguin), 1985.
Glass People. New York: Knopf, 1972; rééd. Viking (Penguin), 1986.
The Odd Woman. New York: Knopf, 1974; Viking (Penguin), 1985.
Violet Clay. New York: Knopf, 1978; Viking (Penguin) 1986.
A Mother and Two Daughters. New York: Viking, 1982; Avon, 1983. The Finishing School. New York: Viking, 1984; Avon, 1986.
A Southern Family. New York: William Morrow, 1987; Avon, 1987.
Father Melancholy's Daughter. New York: William Morrow, 1991; Avon, 1992.
The Good Husband. New York: Ballantine, 1994; édition brochée: Ballantine, 1995.

TRADUCTION

Une Mère et ses Deux Filles. Paris: Presses de la Renaissance, 1983.

RECUEILS DE NOUVELLES

Dream Children. New York: Knopf, 1976; Avon, 1983.
Mr. Bedford and the Muses. New York: Viking, 1983.

ÉTUDES CRITIQUES

Westerlund, Kerstin. Escaping the Castle of Patriarchy: Patterns of Development in the Novels of Gail Godwin. Uppsala, 1990.
Cheney, Anne. ``Gail Godwin and Her Novels,'' in Tonette Bond Inge, ed., Southern Women Writers. The New Generation. Tuscaloosa: The University of Alabama Press, 1990; 204-235 et 361-365.
Hill, Jane. Gail Godwin. New York: Macmillan Publ. (Twayne's United States Authors Series: TUSAS 591), 1992.
Xie, Lihong. The Evolving Self in the Novels of Gail Godwin. Baton Rouge: LSUP, 1994.

Traduction : The Good Husband, New York, Ballantine, p. 23-26.

(Dans un passage en analepse, la flamboyante Magda Danvers, encore célibataire et auteur d'un livre sulfureux sur l'inspiration des poètes visionnaires, ``Le Livre de l'Enfer,'' fait une conférence devant les étudiants d'un séminaire catholique du Middle West. L'un d'eux, Francis Lake, de douze ans son cadet, deviendra son mari.)
``Oui, Blake avait trente-trois ans, cet âge symbolique entre tous. Le même âge que cet autre fauteur de troubles dont vous avez sans doute entendu parler, arrivé à l'apogée de son sacerdoce qui était de détruire et refaire le monde. William Blake avait trente-trois ans quand il se mit à graver le texte et les illustrations de cet évangile hautement subversif, Le Mariage du Ciel et de l'Enfer.''
Elle n'était pas la première femme à venir faire une conférence dans le cadre de leur Forum Culturel. Ils avaient eu une poétesse noire qui portait un turban et un boubou africain et qui leur avait chanté et psalmodié en divers dialectes; et ils avaient eu la présidente d'une petite université de femmes qui était aussi une médiéviste réputée.
``Grosso modo, la première partie de la vie de Blake - et il vécut jusqu'à l'âge de soixante-dix ans pour mourir en chantant - avait été tournée vers l'extérieur, vers le monde dans lequel il vivait. Il était obsédé par la Révolution française et ses implications - tout comme beaucoup d'entre vous qui êtes sans aucun doute obsédés par la guerre au Vietnam et ses implications. Je n'ai pas l'intention, toutefois, de faire un parallèle entre la Révolution française et la guerre du Vietnam ce soir.
Mais à présent, à trente-trois ans, Blake est entré dans une phase de désespoir. Ses inquiétudes au sujet des nations qui luttent contre la tyrannie, sa sympathie pour la classe ouvrière de son propre pays en train de sombrer dans l'âge de la machine, toutes ces préoccupations extérieures vont de pair avec une rage de libération qui enfle à l'intérieur de lui. Car, voyez-vous, sa vie personnelle est, elle aussi, devenue une tyrannie.''
Le séminariste qui, au dessert, avait hérité de la pomme cuite si curieusement épicée de Francis, eut un renvoi retentissant. Plusieurs nouveaux de première année se mirent à glousser, mais le Père Birkenshaw les pétrifia du regard.
``Que pouvait-il bien se passer dans sa vie privée? me diriez-vous. Eh bien, je vais vous le dire. Je dois vous le dire, car je sais que votre ordre, à l'instar des Jésuites, souscrit à la politique de la ``sagesse du serpent'' qui consiste à ne pas fuir l'engagement avec le monde. Vous ne serez donc pas épouvantés d'entendre quelques vérités - la vérité -sur les façons multiples et variées dont la psyché humaine crée l'Art.''
Elle pivota sur ses talons aiguilles et fit un signe de sa tête flamboyante en direction du Père Floris qui le lui rendit.
``Vous comprendrez donc que l'art ne surgit pas du néant, pas davantage que la vocation pour chacun d'entre vous, pour ceux d'entre vous qui ont la vocation s'entend. Ce qui nous pousse impérieusement à créer de l'art ou à consacrer une vie à Dieu -personnellement je ne vois aucune différence- s'élabore au plus profond de nous-mêmes, dans l'étoffe intime de notre vie, quelque déguisés que puissent en paraître à nos yeux les motifs. L'oeuvre d'art, la vocation, est une tentative de la part de celui qui aspire à devenir artiste, ou prêtre, pour réaliser de façon tout intérieure, symbolique, ce que le monde extérieur ne sait pas lui donner pour lui faire atteindre la plénitude de son être.
Bien. Sommes-nous prêts à jeter un coup d'oeil indiscret dans la vie de famille de Blake''? Magda décocha un regard de défi en direction du fauteuil à oreilles d'où présidait le Père Birkenshaw.
``Blake adorait sa femme Catherine, qui était une femme toute simple. Elle était sa compagne (``mate''), elle n'était pas son égale (``match''). Il y a une énorme différence. Ceux ou celles qui partagent votre vie (``mates'') ne sont pas toujours vos pairs (``matches'') et deux pairs ne font pas toujours un bon couple. Beaucoup d'individus en ce monde vont par paires mal assorties, de même que, mais à l'opposé, deux individus qui ont tout pour faire un couple vraiment bien assorti n'auraient jamais dû se rencontrer et se marier. Mais pour en revenir à la première catégorie, les couples mal assortis faits de partenaires qui ne sont pas des égaux, cela donne quelquefois de très heureuses combinaisons, même s'il y a des domaines entiers de la vie de l'esprit où un compagnon ou une compagne plus modeste ne peut accompagner son ou sa partenaire. Le Voyageur de l'Esprit doit y accéder seul.
Francis pensa à ses parents qui sans aucun doute auraient fait partie de la première catégorie. Ni son père ni sa mère n'étaient allés au-delà des études secondaires et pourtant sa mère adorait lire et elle aimait écouter des opéras dans sa chambre à coucher le samedi après-midi quand son père préférait regarder du football ou du baseball à la télé, en compagnie de quelques cannettes de bière. Et pourtant sa mère s'en était remise au jugement de son père en toutes choses et ils avaient été comme de jeunes amoureux toute leur vie. Jeannine, sa soeur aînée, lui avait dit un jour que si sa mère n'avait pas fait une grossesse extra-utérine qui avait nécessité la ligature des trompes après la naissance de Francis, ils auraient été une famille de dix enfants, parce que ses parents passaient leur temps à se peloter, et ce jusqu'à la mort du père à cinquante-et-un an. Il avait fait un infarctus à la cimenterie pendant qu'il manipulait une gerbeuse. Francis était en première au lycée. Sa mère ne s'était toujours pas remise du choc; elle ne vivait plus, avait-elle confié à Francis, que pour le jour où il serait ordonné prêtre.
``Quand Catherine découvrit qu'elle ne pourrait pas avoir d'enfants,'' disait Magda Danvers, ``elle cessa toute relation physique avec Monsieur Blake.'' Magda fit une pause comme pour mieux laisser les étudiants retenir leur souffle.
``Elle pensait que ce n'était pas bien,'' continua-t-elle d'une voix unie, en vérifiant d'une main sa flamboyante chevelure ramassée en un chignon savant.
Le vieux Père Rolf qui enseignait la morale et la théorie des sacrements, acquiesca d'un signe de tête somnolent depuis le fauteuil où il était assis.
``Blake céda, mais demanda à sa femme d'engager à leur service une jeune fille qui serait sa concubine. Devant le refus catégorique de Catherine, toutefois, il se résigna, bien qu'il fût encore assez jeune pour mériter le plein exercice de sa virilité.''
Le visage aux pommettes saillantes du Père Birkenshaw était un mur de politesse glacée.
``Mais Blake fit contre mauvaise fortune bon coeur. Il apprit à lire et à écrire à Catherine et lui montra comment colorier ses gravures. Il demeura un mari attentionné. Là où je veux en venir, c'est que cette expérience du féminin à laquelle il aspirait et qui lui fut littéralement déniée le contraignit à pénétrer en lui-même dans les régions de son inconscient, à affronter les images qu'il y trouva, images qui étaient toutes des représentations à la fois masculines et féminines des deux aspects contradictoires de sa personnalité, et à transformer ces images en art.
Mais Bake n'a pas été un grand poète visionnaire uniquement parce qu'il a su résoudre ses problèmes personnels par le biais de l'art. Les artistes visionnaires ne s'arrêtent pas à ce qui est personnel. Ce qu'ils font, voyez-vous, c'est résoudre les conflits et contradictions intérieurs de chacun de nous en les transformant en images qui s'imposent de façon irrésistible à tous.
Ce qui nous amène à Dante et à Béatrice.'' Magda Danvers prononça Bé-a-tri-tché à l'italienne. ``Je suis sûre que vous allez aimer cette histoire qui, après tout, vu le sujet, un amour non partagé, convient mieux à des séminaristes. Un jour que Dante était sorti se promener, il aperçut une petite Florentine en robe cramoisie et en tomba amoureux à vie. Ils avaient neuf ans tous les deux. Il ne la vit plus jusqu'à ce qu'ils eussent tous les deux dix-huit ans. Elle le salua de quelques mots de politesse en passant, et c'est tout. Elle mourut à vingt-cinq ans. Mais cette vision d'amour fulgurante enflamma la veine poétique de Dante. Béatrice, pour lui, était l'Incarnation. Quelquefois, aimer quelqu'un, comme ça, d'un seul coup, c'est comme une illumination de Dieu...''
Francis vit le Père Floris jeter un coup d'oeil inquiet au Père Birkenshaw, qui demeura aussi droit qu'un mur de granit, un sourire poli et glacé aux lèvres. Le vieux Père Rolf s'était endormi dans son fauteuil.

Traduction : The Odd Woman, Viking Penguin, p. 43-45.

(Jane Clifford est professeur de littérature anglaise et américaine dans une université du Middle West. Tout est littérature pour elle, tout est Verbe. Elle ``fouille les romans à la recherche d'une réponse à sa vie''; elle croit au pouvoir des mots de créer le destin.)

Puis soudain elle eut comme une révélation - une amorce de révélation plutôt - sur la nature des récits romanesques. Les romans, c'était tout à fait valable, tant qu'on les lisait pour ce qu'ils étaient: des visions singulières, une interprétation personnelle de la part d'un auteur. Et ils pouvaient nous apprendre quelque chose, nous avertir. Mais les romans de par leur nature même étaient des lits de Procuste. Même les plus longs d'entre eux devaient se terminer quelque part. Si un individu de chair et d'os essayait de s'y coucher, il avait toutes les chances de se voir amputé de certaines parties vitales de son être, ou pire encore, de se voir dans l'impossiblilité d'en sortir.
Il y avait, par exemple, toute la grande masse des romans de ``maîtresses.'' [...] Des maîtresses, il y en avait de toutes les sortes, mais elles étaient toutes des créations singulières, des représentations limitées. Le mot ``maîtresse'' à lui tout seul était toute une histoire.
Comme l'était d'ailleurs ``femme de carrière,'' ou ``vieille fille,'' ou ``professeur d'anglais,'' ou encore ``intellectuelle'' et ``romantique.'' Je suis tout cela, pensa Jane, mais toutes ces étiquettes ne sont que des parties de moi-même. Son amant lui avait dit qu'elle était indestructible. Elle eut soudain une idée de ce qu'il avait voulu dire. On était indestructible si on refusait à tout prix d'entrer dans les centaines, les milliers de romans déjà écrits, déjà dotés d'un dénouement. Si on arrivait à grimper dehors avant qu'ils ne vous submergent, si on se souvenait de temps à autre qu'on était davantage qu'un roman, qu'il fallait s'écrire soi-même chemin faisant et que sa propre histoire ne pouvait vraiment pas, ne devait pas non plus, être achevée aussi longtemps qu'on ne l'était pas soi-même, c'est-à-dire, mort. Et même ainsi, malgré tout l'intérêt de sa propre histoire - et elle pourrait même apprendre quelque chose aux autres et ils pourraient y puiser de la force, se laisser transformer par elle - jamais elle ne pourrait servir de modèle parfait à quiconque.
Ainsi, en cette matinée de la mort d'Edith, Jane se vit octroyer un moment d'espoir insensé, vertigineux. Elle n'était pas encore morte, elle. Rien n'était achevé, absolument rien. Autant qu'elle pût en juger, on n'avait pas encore écrit de dénouement prématuré à sa vie; il y avait eu des milieux ratés peut-être, mais elle avait encore le temps, pensa-t-elle, et l'espoir, de faire, de devenir quelque chose tant qu'il lui serait donné d'utiliser la moindre expérience, le moindre incident de sa vie, plaisant ou déplaisant, banal ou contrariant, en vue de l'investissement (``financing'') spirituel de sa quête [...]
Si ma vie était un roman, il me plairait qu'elle eût un sens pour le lecteur attentif, pensa-t-elle; quel que fût ``mon'' dénouement, heureux ou malheureux, mon lecteur dirait: ``oui, cette existence-là a vraiment senti que tout ce qu'elle a fait ou vécu était d'une nécessité absolue.''
``Mais la vie n'est pas ainsi faite,'' pouvait-elle entendre Howard lui dire, ``la vie n'est pas linéaire. Elle est comme le flux et le reflux de la marée. Comme le Yang et le Yin, par exemple. La vie, c'est des contradictions, c'est l'Indicible, l'Inexplicable. Il n'y a plus d'intrigue de nos jours, la vie se contente de couler, tout simplement.''
Et elle lui citerait probablement George Eliot qui, à vingt ans, avait écrit à un ami: ``J'ai fait ma devise de Certum pete finem - cherche une fin qui soit positive.''
Et Howard lui répondrait: ``Je n'en sais rien. Mais, dites-moi, vous n'avez donc pas envie d'être heureuse''? (Howard est un étudiant hippie de Jane).

Institut d'Etudes anglaises et nord-américaines,
Université Marc Bloch, Strasbourg,
22, rue Descartes,
F-67084 Strasbourg,
France.